Le tatouage traditionnel japonais de l’époque Edo (1603-1868) est très différent de celui qui s’est développé durant la période Meiji (1868-1912) et prolongé jusqu’à nos jours. Le second est forcement plus connu puisque contemporain. Il structure la plupart du temps les plaques pectorales des manchettes selon un motif arrondi qui ressemble à un éventail de lamelles noires ou dégradées ( Hikae Botan Mikiri ou manchette en bordure de pétales de pivoine ).
Mais le passionné d’Irezumi ( tatouage traditionnel japonais ) remarquera que les bordures des tatouages présents sur les anciennes estampes Edo sont très différentes. Si les thèmes semblent similaires, elles se construisent de manière aléatoire, spontanée et la technique des points en dégradée est de rigueur. On n’observe jamais ce système de lamelles/pétales noires ou dégradées dans les estampes Edo. On pourrait supposer par ailleurs que de telles estampes représentant des corps tatoués n’étaient pas le seul produit de l’imagination de leurs auteurs. Par exemple les tatouages ne sont pas représentés en noir mais plutôt en bleu très foncé, ce qui correspond à la teinte réelle d’une encre noire cicatrisée. Ceci amène donc à penser que les auteurs d'estampes représentant des corps tatoués avaient eu des modèles a partir desquels s'inspirer. Bien évidemment on peut imaginer que certains tatouages d'estampes étaient la fidèle reproduction d'un tatouage bien réel et d'autres le simple produit de l'imagination des Maîtres de l'estampe qui, s'appuyant sur leurs observations déclinaient les modèles; bien qu'en reproduisant les règles de construction observées, ainsi que les thèmes et rapports associatifs hérités du symbolisme chinois. Pour cela les Maîtres de l'estampe ont éventuellement pu avoir questionné des Horishi afin de s'instruire des codes de l'Irezumi. N'oublions pas qu'un peintre et un graveur sur bois pour estampes appartenaient à un groupe de métiers commun. L'un réalisait le modèle, l'autre le gravait dans un atelier. Or beaucoup de graveurs de l'époque Edo étaient aussi tatoueurs. Voir par ailleurs l'exemple de Kunisada, peintre célébré par l'art de l'estampe et considéré par beaucoup comme ayant probablement été horishi, tatoueur dans la tradition.
Cette façon de tatouer a été abandonnée vers la fin de l’époque Edo et aucun atelier d’Irezumi ne travaille plus en employant une telle finition. Malgré cela, ma profonde admiration pour cette typologie de tatouage ancien m'a amené à tenter de l'extraire des estampes.
Et finalement, l'Atelier DoNoeko est aujourd'hui le seul atelier de tatouage traditionnel à travailler selon les codes Edo, sans compromis aucun. Cet effort nous rend très fiers et humbles face à ce qui reste à accomplir.
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Je pense sincèrement que l’Irezumi ne peut exploiter son plein potentiel avec une machine électrique, outil occidental conçu pour le tatouage occidental. Il y a beaucoup de débats nourris par l'influence des dermographistes (tatouage électrique) japonais Horigorō II et Horiyoshi II, voir même des polémiques animées concernant le sujet. Pourtant il me semble que la réalité est relativement simple.
En effet les racines du tatouage traditionnel japonais auraient bien trouvé leur matière nutritive première dans le Shintoïsme. L'Irezumi ne serait donc pas une discipline laïque. Alors certains pourraient avoir envie de dire que tout ceci est une figure de style et qu'il n'y a aucun moyen de prouver une telle association. Je pense pour ma part que c'est mal connaitre l'Irezumi. Ce que je peux comprendre facilement car il s'agit bien d'un artisanat qui compte plusieurs siècles (combien d'années comptabilisent, en comparaison, des mouvements artistiques comme le Cubisme, le Dadaïsme, le Surréalisme, le Street Art, le tatouage électrique,...etc,...?). Par ailleurs les yeux d'une entité (dragon, personnage historique, divinité, démon,...etc,..) ne sont tatoués que lors de la toute dernière séance de tatouage, que certains horishi auraient jadis nommé "incarnation" ou "éveil". Ceci est un exemple on ne peut plus concret de l'implication du Shintoïsme dans l'Irezumi. Et le tatouage japonais n'est pas un exemple isolé, pensez au tatouage Thaïlandais. C'est pour cette raison que l'énergie qui procède à l'insertion de l'encre en échange du sang et cela afin d'incarner, éveiller une entité doit être une énergie vivante, consciente, celle du tatoueur. Le "coeur" du tatoueur comme dirait maître Horibun III. L'Irezumi, tatouage historique, se forge avec une énergie humaine et non pas artificielle comme l'électricité.
Voilà la seule raison qui pourrait bien mettre en difficulté le tatouage japonisant réalisé avec une machine électrique. Le terme Irezumi est réservé à ceux qui travaillent selon la Voie de l'ancien code, aussi peu nombreux soient-ils, pourrait-on penser.
Et je suis certain que Junichiro Tanizaki et son "Eloge de l’ombre" ne me contrediraient pas. Pour employer une image je dirais qu’un dessin au fusain se différencie d'une illustration réalisée à l'aérographe. Il en va de même pour un Irezumi exécuté selon la tradition et un tatouage réalisé à la machine électrique. L'effet n'est pas le même. La profondeur des noirs et des couleurs est supérieure en technique japonaise ancienne dite Tebori. Et cela se vérifie et s'explique aujourd'hui en des termes qui sont ceux de la dermatologie.
Pour citer maître Horibun III, "si je venais à utiliser la machine électrique de tatouage, la sensation du travail serait entièrement différente. Le tatouage sera bien de ma conception, mais en définitive il ne serait pas si différent du travail d'un autre tatoueur employant aussi une machine électrique. Et il ne s'agit pas seulement de texture mais aussi de processus de travail, il faut beaucoup plus de temps et probablement plus d'argent aussi pour réaliser un tatouage à la main ( en technique traditionnelle Tebori ). Mais mes clients s'adressent à moi car ils souhaitent vivre cette expérience, cela appartient aussi au plaisir: apprendre à connaître chaque client, passer du temps à verser mon coeur dans le travail" ( Extrait, Tokyo Tattoo 1970, Martha Cooper ).
Jun'ichirō Tanizaki se plaignait de la soumission du peuple japonais face à la poussée culturelle occidentale dans son pays. Architecture, musique, théâtre, mais aussi toute l' esthétique du quotidien ont fini par perdre, souligne l’auteur, leur valeur et réalité premières. Se dénaturant ainsi jusqu’à devenir une version inadaptée et appauvrie de ce que l’art et l’artisanat d’art étaient originellement au Japon.
Quelques années plus tard une partie du peuple japonais sembla souhaiter s’appuyer sur la leçon de Maître Tanizaki, revenant de fait vers des valeurs plus traditionnelles.
On peut aisément remarquer un phénomène semblable à celui décrit ci-dessus dans le tatouage traditionnel japonais.
Tendant alors à définir l’Irezumi en occident, comme une forme de tatouage que l’on peut pratiquer avec une machine électrique, sans la connaissance des archétypes nippons ni de leur rapport associatif. Heritage des premiers dermographistes japonais? C'est à mon sens comme souhaiter organiser une représentation de théâtre rituel Noh dans un gymnase et sous des projecteurs puissants.
Le phénomène soulève enfin la question suivante: pourquoi entamer une démarche chez un tatoueur artisan horishi suivant la voie traditionnelle, stricte et difficile, puisque le dermographiste (tatoueur employant une machine électrique) expérimenté ou en herbe pourrait faire tout aussi bien l’affaire? Après tout on est en 2017, quelle idée de se faire tatouer à l’ancienne!
Ci dessous quelques tatouages réalisés avec la technique ancienne, selon le style Edo, donc sans machine électrique. Vous pourrez aussi consulter notre Galerie pour découvrir l'ensemble de nos tatouages, tous réalisés de cette même façon: Galerie Donoeko.
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